Depuis mai 2025, le service des urgences de l’hôpital de Saint-Dizier connaît des fermetures à répétition. Officiellement, la direction évoque un manque temporaire de médecins. Mais sur le terrain, les personnels soignants dénoncent une situation bien plus grave : pressions internes, harcèlement, stratégie de déstabilisation, et un service aujourd’hui au bord de l’implosion.
Une série de fermetures inquiétantes
Les 3, 7 et 16 mai, puis le 10 juin, les urgences de l’hôpital Geneviève de Gaulle-Anthonioz ont fermé leurs portes, plongeant les habitants du nord Haute-Marne dans l’inquiétude. L’hôpital oriente alors les patients vers Bar-le-Duc, Vitry-le-François ou Chaumont. Seules les urgences vitales, obstétriques et pédiatriques sont encore assurées. Pour les autres, un appel au 15 était nécessaire.
Dès la première fermeture, Puissance Télévision a rencontré plusieurs personnels soignants. Lors de notre premier échange, ils étaient quatre, tous ont souhaité garder l’anonymat. Le 3 mai, ils nous avaient contactés pour « expliquer ce qu’il se passe réellement aux urgences. »
Un service sauvé, puis mis en péril
« Il y a six ans, un nouveau chef de service prend les rênes des urgences », explique une infirmière. À l’époque, le service est en grande difficulté : mauvaises réputations, graves fautes professionnelles, harcèlement des internes et agressions de patients. La presse avait d’ailleurs révélé plusieurs scandales comme en 2022, alors qu’une aide soignante volait les cartes bancaires de ses patients.
Selon les témoignages des soignants rencontrés, « ce chef a tout changé ». Il aurait assaini les pratiques, instauré de nouvelles règles, renforcé la cohésion et attiré de nouveaux praticiens dans une zone désertée. Surnommé « le ciment de l’équipe », il enchaîne les gardes, parfois jusqu’à dix par mois, au détriment de sa vie personnelle. « Il vivait aux urgences », confie un médecin rencontré le 15 mai. L’équipe se dit solidaire, unie, jusqu’à organiser des événements en dehors du travail.
« Un harcèlement systémique »
Mais selon eux, cette réorganisation ne plaît pas à tout le monde. Très vite, un « groupuscule interne » s’oppose à lui. « Notre chef a été la cible de pressions, intimidations, dénonciations devant l’Ordre des médecins — sans suite ». Des mails diffamatoires, une voiture rayée, des attaques personnelles : « tout est fait pour l’atteindre. »
Plusieurs employés soutenant le chef de service ont été poussés vers la sortie. « Dès qu’on le défend, on est menacé », affirme une infirmière. Un autre employé témoigne les larmes aux yeux : « Les RH nous disent qu’on ne peut pas parler. On se sent comme des pions. »
Une direction silencieuse et contestée
Ce que les soignants dénoncent avec le plus d’amertume, c’est « l’absence totale de dialogue » avec la direction du GHT Cœur Grand Est. Contacté à plusieurs reprises par mail et par téléphone, le service communication a finalement décliné nos demandes d’interviews : « Le GHT ne souhaite pas s’exprimer sur ce sujet pour le moment », nous a-t-on précisé dans un mail.
Du côté des urgences, le planning est parfois envoyé à la dernière minute, sans médecins prévus, et les remplacements ne sont pas assurés : « On nous prévient deux heures après le début du poste qu’il n’y aura pas de médecin. »
La direction n’a, selon eux, jamais tenté de contacter d’autres établissements du GHT pour aider, notamment Verdun. Un vivier de médecins disponibles donc à proximité n’auraient pas été sollicités. Une stratégie assumée, selon les équipes, pour laisser le service s’effondrer. « C’est du sabotage », ose dire une aide-soignante.
Le directeur de l’hôpital aurait même, selon des infirmiers, « pourri l’équipe » un dimanche soir à 22 heures. Depuis, « il ne nous adresse plus la parole. »
Des soignants au bord de la rupture
Les conséquences humaines sont sérieuses. Burn-out, crises de nerfs, larmes. Certains soignants ont tenu jusqu’à l’épuisement. « Pendant une semaine, je n’ai pas dormi », confie une urgentiste. Une autre raconte : « On est passé du déni à la colère. »
Avec un personnel déjà restreint (deux médecins la nuit, trois le jour), et une seule interne sur le semestre, les conditions de travail sont devenues intenables. « On ne peut pas assurer la sécurité des patients comme il se doit », déplore la même urgentiste.
Le planning d’été, déjà incomplet selon l’équipe, annonce de nouvelles fermetures. Pourtant, selon plusieurs sources, une enquête qualité réalisée récemment sur les urgences de Saint-Dizier salue leur efficacité. Le modèle du service, redressé par le chef en question, aurait même été proposé comme exemple à suivre dans d’autres établissements.
Mais cette reconnaissance ne pèse rien face aux oppositions internes. Un médecin résume : « Ce chef de service, c’est lui ou personne. Si lui ne revient pas, beaucoup d’entre nous partiront. »
Le maire monte au créneau
Face à l’urgence de la situation, le maire de Saint-Dizier, Quentin Brière, s’est exprimé sur notre plateau, le 11 juin dernier. Alors aussi président du conseil de surveillance de l’hôpital, il se dit « profondément préoccupé ». Selon lui, « ce sont des problèmes réglables si on s’en donne les moyens ». Il appelle à une réponse rapide de l’État : « J’ai saisi la ministre de la Santé. Maintenant, il faut agir. »
Malgré des réunions hebdomadaires entre la mairie, l’ARS, la direction et les professionnels, rien ne change fondamentalement. Le service tient grâce à l’engagement des soignants. Tous attendent le retour du chef de service, actuellement en arrêt maladie. Mais les semaines passent, et l’angoisse monte.
« On espère, mais on ne comprend pas »
L’équipe, soudée malgré tout, exprime un espoir mêlé d’incompréhension. « Pourquoi salir l’image de celui qui a redonné vie au service ? Pourquoi ignorer les alertes répétées ? Pourquoi ces fermetures qui fragilisent tout un territoire ? », se questionnent deux témoins que nous avons rencontrés à trois reprises. Contacté, le chef de service des urgences nous a rappelé son devoir de réserve, le professionnel n’a donc pas pu témoigner.
Au-delà de l’hôpital, ce sont 60 000 habitants qui voient leur accès aux soins d’urgence compromis. Alors que l’été s’annonce tendu, le service des urgences de Saint-Dizier semble suspendu à un fil. Derrière les murs de l’hôpital, c’est une équipe éprouvée, mais toujours debout, qui tente de maintenir le cap. « On continue, parce qu’on n’a pas le choix, conclut une infirmière. Pour les patients, pour nos collègues, pour ne pas laisser tout s’effondrer. »
Selon Quentin Brière, maire de Saint-Dizier, les urgences n’avaient pas connu de fermeture depuis quatre ans. Ce constat rend la situation actuelle d’autant plus alarmante, et marque, selon lui, « une rupture brutale » dans l’histoire récente de l’établissement.